Les univers de papier – Sex and Horror, the Art of Alessandro Biffignandi

Les univers de papier, c’est une petite réflexion sur quelques bouquins que nous avons dans notre bibliothèque, et leur influence possible sur des univers photographiques. Aucune prétention pseudo intellectuelle ou universitaire en la matière, j’explique juste pourquoi je les aime. 

Le livre du jour : Sex and Horror, the Art of Alessandro Biffignandi

 

 

Quels sont les malades qui ont publié ce truc ?


Korero Press, maison d’édition basée à Londres, spécialisée dans le Lowbrow et la Kustom Kulture. 35 ouvrages sortis, dont 14 en rupture de stock. C’est pas un gros business, mais y trouverez « Kustom Kamera Greased Eye Candy », très bon ouvrage de photos sur la Kustom Kulture, des ouvrages sur le PinStriping, d’autres de Viva van Story, du Steampunk, du Graphisme Mexicain, des posters de burlesque… En résumé, chaque fois que vous tombez sur un de leurs livres, c’est jack-pot

 

Et, euh, au fait, c’est quoi le LowBrow ? (ca n’a aucun rapport avec l’article, mais quand je suis lancé, on ne m’arrête plus…)

Déjà, ca commence mal… Encore un truc qui nous vient de la Californie. Los Angeles, fin des années 70. Des illustrateurs et trices ne veulent pas sortir de l’enfance, et, dignes héritiers d’Andy Warhol, décident de reprendre et de pervertir les codes de ce dans quoi ils ont grandi : comics, dessins animés, pub sous toutes ses formes… Le LowBrow, c’est comme le LowFi, ca revendique clairement sa non appartenance à l’art classique, les « beaux-arts » dont tant de trous du cul chantent les louanges, entre canapés et cocktails doucereux…

Vous avez rien compris ? Pourtant j’ai fait des efforts… 

 

Bon, c’est quoi, ce bouquin que tu nous présentes, Général LaGuarda ?


Photo DR

Alessandro Biffignandi (1935-2017) est un illustrateur italien très connu pour son travail dans les fumetti spécialisés dans le sexe, la violence et l’horreur.

Le contexte

Pour ceux qui l’ignorent, les fumetti sont des comics italiens en format de poche, qui ont inondé librairies et tabacs de l’Europe au sortir de la deuxième guerre mondiale. Blek le Roc, Zembla, Akim, Battler Britton… ca, c’était les fumetti « propres », ou les gentils foutaient des peignées aux méchants et aux fourbes… Début des années 70 apparaissent sur les présentoirs des fumetti nettement plus adultes : horreur et violence ne servent alors qu’un seul propos, dénuder des filles pulpeuses (et éventuellement les couper en morceaux après).

Vous avez bien compris l’importance des couvertures de ces fumetti. La concurrence étant rude entre maisons d’édition, il faut qu’en un coup d’oeil, le lecteur décide quelle revue il va acheter. D’où l’intérêt pour les maisons d’édition d’attirer à elles les meilleurs illustrateurs de l’époque…

 

L’auteur

Alessandro Biffignandi commence sa carrière d’illustrateur en 1954 dans une boite qui conçoit les panneaux publicitaires de théâtre et de cinéma. Petit rappel utile : jusque dans les années 70, les affiches étaient réalisées par des illustrateurs. L’évolution des procédés photographiques a mis fin définitivement à cette profession depuis. Alessandro poursuit sa carrière en bossant sur des pubs et des affiches pour le cinéma.

Début des années 60, il s’installe à Milan et commence à travailler pour Roy Dami, qui produit des comics pour le marché anglais.

Début des années 70, le marché des sexy fumetti explose en Italie. Le sexe, l’horreur et la violence – surtout le sexe d’ailleurs – s’affichent en couleurs vives au travers de nombreux périodiques. Alessandro en est un des principaux illustrateurs, ses peintures s’intègrent dans la culture populaire de cette époque et laisseront des traces indélébiles sur les générations futures.

 

Le bouquin

Sex and Horror, the Art of Alessandro Biffignandi, c’est un ouvrage de 160 pages, en 22,2cm x 26cm, couverture souple, papier satiné, bourré d’illustration… Un chouette livre, pour résumer. Et en plus, vous savez quoi ? Il n’est pas en rupture de stock et donc disponible chez l’éditeur moyennant un peu moins de 30 euros avec les frais de port.

Vous avez entre vos mains un excellent aperçu de l’art d’Alessandro. Vous y retrouvez ses illustrations originales ayant servi à composer les couvertures de nombreuses revues auxquelles il a collaboré… Zora la Vampiria, Frankenstein, Tabù… au total, c’est une vingtaine de fumetti qui nous est présentée ici, en majorité axés sur l’horreur, le marché principal des early 70’s.  

 

Et pourquoi il a atterri dans ta bibliothèque, au fait ?


La gestion des couleurs

On retrouve dans les illustrations d’Alessandro Biffignandi la gestion des couleurs chère aux affiches de cinéma des années 50-60. Un découpage de la surface en zones rouge, vert, violet… tout cela dans un seul but : renforcer la composition pour mettre le sujet principal (souvent une fille nue) en avant.

Bien sur, le choix des couleurs est également orienté par le sujet traité. Verts, violets ou rouges pour les histoires d’horreur, couleurs vives et variées pour les thèmes d’action… tout est maîtrisé de bout en bout et n’a qu’un but : renforcer l’impact visuel de l’illustration.

Photo DR

La mise en scène

Avec la mise en couleur intervient un deuxième point essentiel du travail d’Alessandro Biffignandi : la mise en profondeur du sujet, avec souvent un arrière plan qui va nous éclairer sur l’histoire en question. C’est là une problématique constante des illustrateurs de fumetti. La couverture du magazine doit attirer l’attention, et donner envie de lire l’histoire principale. Pour cela, le second plan servira, dans un ton monochrome le plus souvent, a ajouter des éléments narratifs : un personnage, un simple visage, un décors…

Le style

Bon, la, c’est plutôt simple : niveau style, Alessandro Biffignandi est plus qu’un putain de bon illustrateur, c’est un maître.

Les références au cinéma

Bien évidemment, le travail d’Alessandro sur les affiches de cinéma apparait ici dans toute sa splendeur. Ces illustrations de magazines sont bâties exactement comme des affiches de film : une histoire racontée en une seule illustration, une mise en couleur dynamique… 

 

Et ca te sert à quoi, finalement ?


Internet désintoxication

Une remarque que je fais constamment (c’est l’âge) : Internet, on se plante devant et on ingurgite de la photo au kilomètre. Les réseaux sociaux, c’est simple : l’objectif de leurs concepteurs est de nous faire passer le maximum de temps dessus, afin de bouffer un maximum de pubs. Moralité, on ingurgite de la photo jusqu’à plus soif. Au bout d’un temps, on finit par ne plus voir que le même type de photos, le même type de traitement, et bien sur, on finit par considérer que c’est la norme, que c’est bien, que c’est beau…

Difficile, voire impossible, d’être créatif avec un cerveau saturé… Un livre d’illustrateur comme celui-là, c’est une grosse bouffée d’oxygène pour votre intellect. Une bonne claque dans la gueule parfois aussi, au détour d’une page… 

Inspiration blues…

Chaque fois que l’on se rapproche du cinéma, on fait des progrès en photo. En l’occurence, bâtir des clichés comme des affiches de cinéma est un excellent challenge créatif. Je ne veux pas parler de retouches Photoshoppesques. Je veux parler de construire une photo dans cet esprit, à la prise de vue : premier plan, second plan, gestion des couleurs… Grosses contraintes techniques (il faut maîtriser  lumière, profondeur de champ et colorimétrie…) mais gros impact au final. Du moins, quand on n’a pas trop merdé… 

Key to the highway

Mettre le pif dans certains ouvrages est parfois une découverte, parfois un catalyseur de créativité, parfois une aventure qui commence.

Les comics américains, y compris et surtout tout l’underground US, ont été pour moi une grosse baffe dans la tronche au début des années 70. Les fumetti évoqués dans cet ouvrage étaient peu accessibles en France à l’époque, où le comité de censure national pouvait interdire des titres à la vente, voire envoyer directement en taule les protagonistes. Une excellente raison de pister le deuxième ouvrage consacré au sujet chez le même éditeur : « Sex and Horror: The Art of Emanuele Taglietti ». Il sera juste un peu plus dur à trouver à un prix raisonnable, car plus édité chez Korero.

One Comment

  1. CAROLE BENHAMOU 3 février 2019 at 18 06 35 02352 #

    coucou
    j’ai adoré cet article ! autant je n’aime pas le type d’illustration tu auras compris que ce n’est pas mon univers, autant j’ai appris énormément de choses en te lisant, et je suis une fan du graphisme en général, alors si en plus tu le relies aux publicité, théâtre et cinéma, je nage comme un poisson dans l’eau. Merci donc pour tes lignes, ton partage de culture, et les exemples que tu mentionnes.
    bises

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